À première vue, rien ne presse. Vous êtes en poste depuis plus de dix ans dans une entreprise solide, votre poste est reconnu, votre rémunération confortable.
À quarante-cinq ou cinquante ans, la tentation est grande de capitaliser sur l’acquis, de repousser à plus tard les questions de mobilité, de reconversion ou d’aménagement du temps de travail.
Pourtant, les données les plus récentes de l’Unédic et de l’Apec dressent un tableau préoccupant de cette stabilité apparente.
Car en réalité, le décrochage commence plus tôt qu’on ne l’imagine. À partir de 54 ans, les trajectoires professionnelles se tendent, et à 56 ans, la probabilité de retrouver un emploi durable après une rupture de contrat s’effondre.
Pour les cadres ayant plus de dix ans d’ancienneté dans leur entreprise – et ils sont nombreux dans les grands groupes – la chute est particulièrement sévère.
L’accès à l’emploi durable après une rupture devient alors très limité : seuls 28 % des demandeurs d’emploi seniors y parviennent dans l’année suivant leur inscription, un chiffre qui descend à 16 % pour ceux dont l’état de santé a pesé dans la rupture.
Autre constat frappant : les cadres expérimentés sont les plus exposés dans les périodes de repli économique.
En 2024 et 2025 (projection), les recrutements de cadres diminuent - de 8 % environ. Or, ce sont les profils très expérimentés qui voient leur part chuter le plus. Les entreprises, dans un contexte de prudence budgétaire, concentrent leurs embauches sur les profils de moins de 10 ans d’expérience, plus mobiles et moins coûteux.
Et bien sûr, les stéréotypes associés aux plus de 50 ans ont la vie dure : trop chers, pas assez flexibles, compétences obsolètes, santé fragile.
Pourtant, ces images ne résistent pas aux chiffres. Le coût d’un cadre senior est réel, mais reste corrélé à sa productivité jusqu’à 55 ans, et ne décroche que très progressivement ensuite. Côté santé, les taux d’absentéisme des 50-59 ans restent modérés et stables. Quant à la prétendue obsolescence des compétences, elle reflète surtout un moindre accès à la formation après 45 ans, non une perte d’aptitude.
Autrement dit : ce n’est pas l’âge qui crée la rupture, mais l’inertie.
Il est donc temps de reprendre la main.
1. Réactualisez vos compétences.
L’IA, l’automatisation, la cybersécurité, la transition environnementale : les transformations à venir ne sont pas des sujets techniques réservés aux jeunes. Ce sont des enjeux stratégiques qui vont façonner votre métier. Investissez vos droits CPF, certifiez vos savoirs, discutez un plan de développement avec votre RH ou votre manager.
L’ancienneté ne vous protège que si vous restez pertinent.
2. Mobilisez-vous de l’intérieur.
Prendre un projet transverse, un poste en filiale ou dans une autre direction, c’est casser l’image du cadre figé dans sa zone de confort. Cinq ans sans changement, c’est souvent le seuil au-delà duquel le marché vous perçoit comme statique.
Même en restant fidèle à votre employeur, vous pouvez envoyer des signaux de dynamisme au marché.
3. Parlez temps.
À 55 ans, la question n’est plus de courir plus vite, mais de courir autrement.
Un avenant temps partiel, une organisation hybride ou un projet de transition progressive peuvent préserver votre santé sans altérer vos résultats.
Anticiper, c’est éviter l’accident. La discussion sur un éventuel aménagement de fin de carrière ne doit pas être subie à 59 ans, mais ouverte dès 52.
4. Cultivez votre réseau professionnel.
Enseigner, être mentor, intervenir dans une association professionnelle ou une conférence sectorielle : ces activités vous reconnectent au marché, exposent vos compétences, montrent que vous êtes toujours en phase avec votre temps.
À partir de 45 ans, votre valeur externe dépend autant de votre visibilité que de votre CV.
5. Interrogez votre projet de fin de carrière.
Attendre la rupture pour commencer à réfléchir, c’est s’exposer à subir. En revanche, articuler dès maintenant vos envies (conseil, transmission, mobilité choisie, création d’activité…) vous permettra d’ouvrir des pistes.
Il est plus facile d’obtenir des marges de manœuvre – financement, temps dédié, formation – quand on est encore en poste.
Les carrières ne sont plus linéaires, et la dernière décennie professionnelle peut devenir la plus stratégique, si elle est pensée comme un capital-temps à structurer et non comme un lent déclin à accompagner.
Vous êtes en poste, vous avez de l’expérience, une connaissance fine des rouages de votre entreprise. C’est précisément ce qui vous donne aujourd’hui les moyens de négocier activement la suite. Pas demain. Maintenant :)